Le monde de Melwar
Ce qui est à toi est à moi
Jiz sortit de la ruelle en courant, se tenant le côté pour éviter de perdre trop de sang dans la poursuite. Par l’Enfer de Gali, ce nabot boutonneux allait regretter d’être sorti du ventre de sa chienne de mère ! Mais quel plan foireux !
La jeune oslo sauta sur une pile de tonneau, et s’élança sur le balcon d’une vieille bâtisse. C’est marrant tiens… quand on est blessé on a tendance à sur estimer ses capacités de grimpe-muraille. Jiz étouffa un cri de douleur quand elle s’étala sur le garde-corps, l’entaille à son côté se rouvrant brutalement sous le choc. Comme elle pu, une main tenant toujours fermement le rouleau à parchemin, l’oslo grimpa par-dessus le balcon et s’allongea, un œil rivé sur la sortie de la ruelle, d’où émergeaient déjà ses poursuivants. L’erklax beugla un ordre à ses hommes en agitant son sabre à moitié rouillé, mais Jiz ne compris rien tant la pluie d’orage martelait les toits de tuiles du riche quartier des Armateurs de Bamlion. Le raldor et les deux oslos se jetèrent dans la rue, et passèrent sous le balcon. L’erklax les suivit d’une rapide foulée, mais s’arrêta soudain à la hauteur de la jeune oslo. Jiz retint son souffle, et tenta de calmer les battements de son cœur, tendit que l’homme-loup remuait les naseaux en tous sens. Soudain il jura entre ses dents et rattrapa ses camarades en les invectivant de plus belles.
La jeune femme soupira bruyamment. La nuit et l’orage étaient pour l’instant ses meilleurs alliés… Et quand on a vécu comme tire-laine toute sa jeunesse pour devenir à vingt-deux-ans ans une des meilleurs Dague de la capitale, on a besoin de rien de plus.
Jiz se releva à moitié, et déchira un bandage de fortune dans sa tunique noire et moulante. Ca fera l’affaire pour le moment. Pour le moment, cette blessure était le cadet de ses soucis. Chiure de Troll ! comment avait-elle fait pour finir ici ? Sans aucun effort, elle déroula les derniers jours passés, et bientôt une conclusion s’imposa d’elle-même, claire et limpide. On l’avait bien enflée. Comme une ribaude à quai un jour de paie. La seule chose qui trottait dans sa tête maintenant concernait un hystil joviale et les nombreux sévices que l’imagination débordante de la jeune femme allait lui infliger.
Trois jours auparavant, son contact de la Confrérie lui avait transmis un contrat. Juteux profit en perspective. Un membre de la Guilde des Armateurs, un erklax plus vieux que ses bateaux, possédait un rouleau à parchemin bien caché dans ses appartements, contenant des actes de propriétés convoités par un concurrent. En s’assurant de la disparition de ces papiers, Jiz s’assurait un bon paquet de Loups d’Or. Et si dans l’affaire le vieux croulant pouvait… mourir sereinement dans son sommeil, un beau bonus serait à la clé. Seulement si l’occasion se présente en somme…
Le problème, c’est qu’il y a plus d’un rapace chez ces foutus marins, et que ce contrat plus d’un commanditaire l’a mandaté. Jiz jura entre ses dents. Elle aurait du se douter que ce relent de latrine de Gerald était sur le coup. La jeune femme avait croisé l’hystil plusieurs fois auparavant, et la dernière fois elle avait bien failli le planter au bout d’une pique juste pour la forme. Mais ce filou est le meilleur receleur de la région, et pour trouver du bon matériel y’a pas mieux… Alors elle l’avait laissé se carapater sans ennuis dans les rues du marché.
Ce type a le don de toujours tout savoir avant les autres, et il l’a prouvé ce soir !
Quand Jiz était arrivé dans l’appartement de l’armateur, le vieux sac dormait à poings fermés, une prostituée dans chaque bras, chacune assez jeune pour être sa petite-fille. Les relents d’herbes à fumer et autres poussière de rêves empestaient l’atmosphère. L’Oslo soupira entre ses dents. Un assassinat sans aucune difficulté pour son art, quelle déception. La jeune femme sortit d’un geste vif une étroite dague de sa manche, à la pointe fine et acérée. Enduite de racine fragique, le poison ferait ressembler ça à un arrêt du cœur. D’un geste précis et rapide, elle planta la pointe de sa lame sous le pied du vieil homme qui ne broncha pas d’un cil. Efficace ses herbes à fumer… Dans quelques minutes il sera raide mort.
Le coffre-fort ne fut pas difficile à trouver, derrière une tenture représentant un trois-mâts voguant sur des flots de Loups d’or. La laideur du tableau était presque autant vomitive que l’odeur de la pièce… Jiz crocheta sans peine la serrure, et ouvrit le coffre avec précaution. Aucun piège. Le rouleau à parchemin, posé sur une pile de paperasse et de loups d’or, attendait sagement la jeune femme. Elle le prit vivement en se désintéressant complètement du reste, et le rangea dans son étui à la ceinture. Elle s’arrêta dans son geste et soupesa le rouleau deux ou trois fois. La jeune oslo le retourna en tout sens, et une mauvaise intuition pointa le bout de son nez. Jiz posa sa main sur le couvercle, et ouvrit le rouleau. La suite se passa très vite… à peine ouvert une détonation se produisit au fond du rouleau. Rien de bien méchant, un petit feu d’artifice. Mais dans le silence de la maison endormie, cela fit l’effet d’une bombe. Une des ribaudes se réveilla, et dans un cri strident rameuta les gardes. En quelques secondes l’erklax et ses hommes entrèrent sabre au clair dans la pièce. Efficace le service d’étage !
Pendant ce temps là, Jiz avait les yeux grands ouverts, la bouche ouverte comme une idiote en contemplant le petit bout de papier à moitié roussi au fond du rouleau. « Bonne chance gamine ! » et en guise de signaturen un simple « G ». Un coup d’estoc la fit bien vite sortir de ses rêveries, et elle s’élança sans hésiter par la fenêtre de la maison cossue. Pour finir sur un balcon, les côtes en sang et l’amour propre entâché.
Serrant son poing sur le faux rouleau à parchemin, la jeune assassin se jura de retrouver cette saleté de receleur et de lui fourrer sa satané copie dans le fondements. Narquoise, une petite voix au fond de sa tête lui disait « si tu le retrouves un jour ma fille ! »
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